Patrouille Etoile des Ténèbres et Nébuleuse Symphonie [LIBRE]

C'était une journée claire et fraîche, sous un soleil généreux et un ciel limpide. Une brise agréable soufflait par intervalles, s'infiltrant souplement entre les feuilles des arbres garnis. L'herbe frémissait sous mes coussinets. Les ombres qui s'allongeaient progressivement suscitaient l'envie de s'y rouler en boule et d'y dormir, au pied d'un de ces colosses de bois ou près des branches entremêlées des buissons.
Nous cheminions le long de la frontière avec le Clan du Ciel. L'odeur du marquage, ténue, devait remonter à la veille au soir. Je tendis le cou pour tenter de percevoir la moindre effraction aux règles ; n'en décelant aucune, j'étouffai un soupir de soulagement. On ne sait jamais.

- Ne trouves-tu pas que l'odeur du Clan du Ciel est ancienne ? Ils ne vont sûrement plus tarder à patrouiller ici.

Dite de cette manière, la phrase semblait étrange. De même, il ne semblait attendre aucune réponse, puisque son attention dévia aussitôt de moi. De quoi le meneur avait-il peur ? Puis je perçus le sous-entendu. Bien sûr...


« Tu n'as pas à t'inquiéter, ils ne vont pas te jeter du houx à la figure, le taquinai-je pour apaiser ses craintes. Et puis, ils vont bien finir par le savoir. », ajoutai-je d'une voix plus douce.

L'anxiété du meneur semblait être perceptible à des kilomètres à la ronde. Craignait-il être moins performant que son aînée décédée ? Puis il se renfrogna, et rétorqua :

- Je ne m'inquiète pas, quoi qu'ils pensent ou osent dire, ils ne pourront changer la volonté d’Étoile Rousse de me faire chef un jour.

L'assurance de sa voix suffit à me redonner courage. Non, il savait que ses craintes ne le mèneraient à rien. Il laissa ses yeux errer quelques instants dans le vague, comme s'il réfléchissait, en proie à un dilemme intérieur. 

- Elle était tellement respectée, c'était une grande chef.

J'acquiesçai mécaniquement. Il n'avait pas tort, mais ne se sous-estimait-il pas par la même occasion ? Étoile des Ténèbres respectait profondément la meneuse. Mais liait-il le respect à la grandeur ? Si oui, il se trompait. Des chefs pouvaient être grands sans être respectés, car leurs décisions demeuraient incomprises. Cela n'avait rien à voir. Je me gardai bien de lui en faire part ; je faisais des extrapolations. Sur ces mots, il accéléra le pas subitement.

« Je suis certaine que toi aussi, tu feras les bons choix. »

Maigre consolation. Mais j'avais essayé, au moins.

Le comportement du meneur m'étonna. Il semblait assagi, plus raisonné.

- Avec toi, je n'en doute pas. Mais je compte sur toi pour me remettre dans le droit chemin si besoin est.

Malgré moi, je me figeai. Il comptait sur moi pour accomplir une mission de cet ordre ? Il devait être un peu trop fatigué. Voyait-il en moi des capacités que j'ignorais ? Ou bien se fiait-il à l'épisode de la remise sur pattes de ma mère ? Le bout de mes oreilles me chauffa. J'étais gênée.
Une odeur capta toute mon attention, et je tournai les oreilles vers l'origine d'un bruit de pas. Emportée par mes réflexions, je n'avais pas senti la patrouille ennemie approcher. Il y avait Étoile des Plumes en personne.

- Bonjour. Comment se porte votre Clan ? lança-t-elle.

Cela sonnait affreusement faux. Une cordialité glaciale. A ce titre-là, elle n'avait pas de valeur. Je m'empêchai de lui lancer une réplique acerbe. C'était à Étoile des Ténèbres de s'exprimer. J'en avais la ferme conviction. Il devait le lui dire...

Après l'arrivée remarquée de la guérisseuse, les meneurs entamèrent une conversation à laquelle je choisis de ne pas prendre part. Je restai dans mes retranchements, calme et attentive, au cas où la meneuse adverse m'attaque ad hominem - mais il n'y avait aucune raison, je n'avais commis aucune faute. Peut-être m'accuserait-elle simplement d'être trop jeune...

Étoile des Plumes jouait son tour de la femelle insaisissable, lorsque mon meneur, à très juste titre, décida d'y mettre fin en répondant à sa guérisseuse.

- Je ne saurais te répondre à sa place, mais je ne vois pas pourquoi elle n'y serait pas.

Bien. La réponse n'était ni précise, ni trop vague. Et il ne s'engageait pas à lui apporter un élément fiable.

« Et votre Clan à vous ? interrogeai-je, entrant dans ce jeu stupide de la fausse courtoisie. Se porte-t-il bien ? »
Quitte à rentrer dans leur jeu, autant manier l'ironie. Je détestais me voiler la face.

- Oui, très bien. On se voit à la prochaine Assemblée.

Un ton glacial qui coupait court à toute conversation. C'était décidément une manie : on veut tout savoir de l'autre, mais on ne dit absolument rien sur soi. Pas étonnant que des tensions naissent. On fait de fausses interprétations, et on se jette dessus. Je réprimai un soupir - car même un soupir pouvait provoquer des tensions, à ce point-là...

La patrouille rebroussa chemin vers le camp. Le jeu était terminé, nous retirions nos pions, comme sur un échiquier géant. Le meneur pressa le pas, il semblait attendre quelque chose avec impatience. Je devinai qu'il voulait revoir sa famille, ce qui était normal. Son regard était posé droit devant lui, rien ne le laisserait dévier de sa trajectoire, rien ne le ralentirait. Je m'abstins de dire quoi que ce soit, respectant sa volonté silencieuse.